Le 27 mars dernier, l’administration fiscale a mis à jour son BOFIP pour préciser les modalités de détermination du prix d’exercice des BSPCE. Il s’agit probablement d’une révolution pour les BSPCE en France, renforçant significativement leur attractivité, mais pas seulement…… risquons-nous à quelques réflexions prospectives.
Pourquoi ces précisions étaient-elles tant attendues par les praticiens ?
Les BSPCE bénéficient d’un régime fiscal et social de faveur sous réserve de respecter un certain nombre de conditions. Le prix d’exercice des BSPCE doit notamment correspondre à la valeur de l’action sous-jacente à la date de l’attribution, sans pouvoir être inférieur au prix par action résultant d’une augmentation de capital ayant eu lieu moins de 6 mois auparavant. Toutefois, une décote peut être appliquée en cas (i) de perte de valeur de la société pouvant être justifiée ou (ii) de différence de droits entre ces actions et celles sous-jacentes aux BSPCE (cf. III de l’article 163 bis G du code général des impôts). C’est ce second cas qui nous intéresse.
A défaut de respecter cette condition, le gain lié aux BSPCE risque d’être considéré comme un salaire pouvant conduire à une augmentation significative de l’imposition supportée par le titulaire de BSPCE ainsi qu’à des cotisations sociales mises à la charge de la société émettrice.
Face à cet enjeu majeur, en l’absence de précisions quant aux modalités de calcul de cette décote, les praticiens prudents n’appliquaient aucune décote ou une décote forfaitaire conservatrice, souvent de 20%.
Désormais, l’administration fiscale indique que le prix d’exercice « peut notamment être déterminé à la juste valeur du titre au jour de l’attribution, conformément aux méthodes financières objectives retenues en matière d’évaluation de titres ». Il est également admis que toute clause contractuelle (même si elle n’est pas statutaire), instaurant une différence de droit entre les actions sous-jacentes aux BSPCE et d’autres classes d’actions émises par la société, peut justifier l’application d’une décote pour apprécier la valeur des premières (exemple : une clause de liquidation préférentielle ou une clause d’incessibilité).
Ces quelques précisions pourraient bien être annonciatrices d’une révolution et libérer les praticiens, notamment les experts évaluateurs, qui considèrent de longue date que les prix d’exercice retenus pour les BSPCE sont surévalués, ce qui nuisait à leur attractivité.
Comment fonctionnent concrètement ces “méthodes financières objectives” ?
Les caractéristiques financières et les droits attachés aux actions émises lors de la dernière opération sur le capital sont propres à chaque entreprise et il n’existe donc pas de décote “standard” applicable universellement pour déterminer la valeur d’une action ordinaire par rapport à un autre type d’action. Pour calculer les décotes, les évaluateurs utilisent la méthode du “pricing des options” : le modèle Black & Scholes pour la décote pour liquidation préférentielle, les approches Chaffe, Finnerty, Asian et/ou Ghaidarov pour la décote d’illiquidité . Cette méthode financière est également utilisée aux Etats-Unis pour les rapports 409a (stock-options). L’expérience des 20 dernières années aux Etats-Unis depuis l’introduction en 2004 du rapport 409a pour valoriser les stock-options a donc beaucoup à nous apprendre. Il en ressort qu’en moyenne, la décote appliquée pour déterminer la valeur d’une action ordinaire par rapport au prix par action de la dernière opération sur le capital (avec liquidation préférentielle attachée à ces actions) varie entre 50% et 70%.
Plusieurs paramètres viennent impacter la décote dont notamment la valorisation de l’entreprise, la table de capitalisation, les règles de liquidation préférentielle (multiples de paiement prioritaire accordés aux investisseurs sur leur investissement, participating ou non, présence d’un carve-out ou non), la maturité du sous-jacent (date à partir de laquelle l’entreprise aura un évènement probable de sortie), et la volatilité de l’industrie (variation journalière du prix du sous-jacent de sociétés cotées comparables sur une période d’un an ou plus). L’application d’une double décote pour liquidation préférentielle et d’illiquidité n’est pas automatique. En présence de liquidation préférentielle, la décote correspondante vise à calculer l’écart de valeur entre les actions de préférence et les actions ordinaires, et s’accompagne systématiquement d’une décote d’illiquidité car le modèle du “pricing des options” pré-suppose une liquidité des titres qu’il convient d’ajuster pour les sociétés non-cotées. En l’absence de liquidation préférentielle, aucune décote de ce type n’est applicable, et la décote d’illiquidité s’analyse différemment en fonction du contexte en pesant les arguments économiques et juridiques. A cet égard, la décote d’illiquidité est-elle par exemple différente selon que le bénéficiaire des BSPCE sera un salarié ou un fondateur ? En effet, les clauses contractuelles applicables aux actions détenues par un fondateur différent de celles des salariés et les opportunités de liquidité bénéficient davantage aux fondateurs. Toutefois, l’impact chiffré de ces différences est parfois délicat à déterminer. Retenons simplement qu’il n’existe pas forcément une approche unique pour tous les types de BSPCE d’une même société.
L’application de ces décotes soulève déjà de nombreuses questions pour les praticiens et les sociétés émettrices.
Doit-on retenir la juste valeur décotée ou peut-on retenir un prix d’exercice plus élevé ? La loi fiscale fixe un minimum mais il est tout à fait possible de retenir un prix d’exercice plus élevé (cela peut dans certains cas faciliter la transition afin de ne pas avoir un nouveau plan mieux disant que les anciens).
A quel prix racheter les actions détenues par un salarié qui quitterait la société ?. Faut-il tenir compte des décotes pour liquidation préférentielle et illiquidité ou au contraire les exclure ? La réponse dépend probablement à la fois des contraintes juridiques et du choix managérial mais elle devra être tranchée dans le cadre de la définition de la “valeur de marché” au sein des engagements contractuels (ou “mini-pactes”) signés par les titulaires de BSPCE.
Est-il nécessaire de recourir à un expert évaluateur ? L’administration fiscale renvoyant à des « méthodes financières objectives », complexes par définition, cela est fortement recommandé si la société ne dispose pas des compétences en interne.
Combien de temps demeure valable la valorisation de l’expert ? Environ 12 mois à notre avis, c’est d’ailleurs la durée de validité admise pour le rapport 409a aux Etats-Unis sauf événement majeur. La réalisation d’une levée de fonds ou d’un autre type d’opération sur le capital requiert nécessairement la mise à jour du rapport. Le temps est donc un véritable enjeu. C’est pourquoi il est recommandé de procéder à des lots d’attributions réguliers au profit des salariés afin d’éviter l’effet déceptif d’une augmentation du prix d’exercice.
Quid des plans de BSPCE passés ?
Comme pour toute révolution, la question de la transition se pose. Les salariés bénéficiaires des anciens plans non décotés risquent ainsi de se sentir lésés face à ce changement de paradigme. Dans certains cas (assez fréquents), le prix d’exercice des BSPCE des nouveaux plans peut même être inférieur à celui des anciens. Que faire dans ce type de situation ?
D’après nos échanges avec l’administration fiscale, celle-ci serait opposée à une modification rétroactive des prix d’exercice des anciens plans. Cette opinion nous semble contestable, et il serait souhaitable que le législateur se positionne officiellement à ce sujet. En effet, rappelons-le, la loi permettait déjà depuis 2008 d’appliquer des décotes. Si cette modification s’inscrit dans une démarche de correction à la suite des précisions administratives, potentiellement approuvée par l’assemblée générale des actionnaires, rien ne nous semble aujourd’hui interdire de corriger globalement et rétroactivement tous les prix d’exercice des anciens plans dans la limite de ce qui était permis par la loi : à savoir en retenant un prix d’exercice qui ne soit pas inférieur à la valeur de l’action ordinaire sous-jacente recalculée au regard des circonstances de l’époque de l’attribution des BSPCE ainsi corrigés.
Cela dit, en attendant des clarifications à ce sujet, les sociétés peuvent à notre avis, avec l’accord des titulaires, annuler les anciens BSPCE et en attribuer de nouveaux avec un prix d’exercice décoté à la date d’attribution. Cela n’a en revanche d’intérêt que lorsque le prix d’exercice décoté est inférieur au prix d’exercice de l’ancien plan.
Nous observons déjà de nombreuses opérations de “régularisation” de ce type. Celles-ci soulèvent également d’autres questions. Par exemple, à cette occasion, le point de départ de la période au cours de laquelle le titulaire de BSPCE acquiert progressivement le droit d’exercer ses BSPCE (dite période de “vesting”) doit-il nécessairement être réactualisé et repartir de zéro ? A notre avis non, il s’agira purement et simplement d’un choix managérial. La loi n’imposant aucunement l’existence d’une période de vesting,l’employeur devrait être libre de conserver la date de départ d’origine de cette période s’il le souhaite.
Ce changement de paradigme peut-il avoir une influence au-delà du simple contexte des BSPCE ?
Les précisions apportées au BOFiP ouvrent la voie à des décotes relativement significatives, ce qui va substantiellement renforcer l’attractivité des BSPCE en France, et il est probable que les principes applicables aux BSPCE soient transposés à d’autres instruments.
En effet, d’après nos informations, l’administration fiscale admettrait déjà que les mêmes principes s’appliquent aux bons de souscription d’actions (BSA), aux actions gratuites, et aux stock options A titre d’exemple, pour calculer la valeur de l’action acquise gratuitement servant d’assiette à la cotisation patronale de 20%, il devrait être admis de retenir les mêmes décotes que dans le contexte des BSPCE.
On le voit, en faisant le choix de renvoyer aux « méthodes financières objectives » plutôt que de proposer des standards de décote, l’administration fiscale a privilégié une approche fine de la valorisation des titres de société, tenant compte notamment des droits attachés aux titres, de leur liquidité, et des circonstances de leur détention. Cette évolution présente toutes les formes d’une révolution dont on mesure encore à peine les questions pratiques qui en découlent et que nous espérons voir aborder dans le prochain guide de l’évaluation des titres de sociétés que l’administration fiscale devrait prochainement actualiser.
Damien Basson, Avocat associé chez INLO Avocats
Il intervient en droit fiscal et en droit des sociétés (capital-risque), plus particulièrement sur des opérations de levées de fonds, de structuration de management packages (notamment BSPCE) ou des rémunérations et du patrimoine des dirigeants, de cessions/acquisitions, de restructurations fiscales d’entreprises (apports partiels d’actifs, fusions, etc.) et en contentieux fiscal
Illan Glaubert, Associé fondateur de SoValue
Économiste spécialisé dans la valorisation des entreprises et des classes d’actions dans l’industrie de la Tech, il accompagne les dirigeants dans leurs opérations de partage du capital (BSPCE, AGA, BSA, stock-options).