Management Package : la Cour de cassation s’aligne sur le Conseil d’Etat 

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Par une décision du 4 avril 2019 (n°17-24.470), la Cour de cassation avait jugé que :

  • “dès lors qu’ils sont proposés aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, les bons de souscription d’actions [BSA] constituent un avantage qui entre dans l’assiette des cotisations sociales”,
  • le fait générateur de l’assujettissement aux cotisations sociales applicables à cet avantage est “la mise à disposition effective de l’avantage au salarié bénéficiaire, soit la date à laquelle il a eu la libre disposition des [BSA]”.

Dans une décision récente du 28 septembre 2023 (n°21-20.685), la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et précise désormais que le fait générateur de l’assujettissement aux cotisations sociales de ce type d’avantage “s’entend de la date de cession ou de réalisation des [BSA], de sorte que l’avantage doit être évalué à cette date en fonction du gain obtenu ou de l’économie réalisée par le bénéficiaire”.

La Cour de cassation confirme ainsi le jugement de la Cour d’appel qui avait considéré que l’avantage était égal à la “différence entre, d’une part, la valeur de l’action à la date de son acquisition et, d’autre part, le prix d’acquisition du bon et celui de l’action”.

En effet, dans les faits de l’espèce, le concerné avait exercé les BSA pour acquérir des actions à un prix inférieur à la valeur de marché de l’action à la date de l’exercice puis les avait revendues dans la foulée. L’intégralité du gain était donc un « gain d’exercice », en lien avec les fonctions du salarié concerné, qualifiable d’avantage salarial d’après les juges. Aucune plus-value complémentaire n’avait donc pu être réalisée. Si tel avait été le cas, il nous semble qu’il ressort de cette décision que celle-ci aurait bien eu la qualification de plus-value et n’aurait donc pas été assujettie aux cotisations sociales applicables à un salaire.

Dans l’hypothèse où des BSA ne seraient pas exercés mais vendus directement à l’acquéreur, il semble ressortir de la décision de la Cour de cassation que l’avantage salarial correspondrait alors à la différence entre le prix de cession du BSA et son prix d’acquisition.

Deux derniers points de cette décision méritent également d’être soulignés :

  • en ce qui concerne l’appréciation du lien avec les fonctions salariés, la Cour de cassation écarte l’argument de la société selon lequel l’exercice des BSA n’était pas conditionné à l’exercice de fonctions par le salarié au sein de la société au jour de l’exercice. Cet argument nous semble pourtant important, davantage que celui retenu par la Cour de cassation qui relève que les BSA n’avaient été souscrits que par des salariés ou mandataires sociaux de la société (quoi de plus sain que de permettre à ses salariés d’investir au capital de la société pour laquelle ils travaillent, sans forcément souhaiter ouvrir cette possibilité à des tiers ?). La décision de la Cour de cassation s’explique peut-être par le fait que le règlement des BSA aurait prévu une clause de « vesting » faisant varier le nombre de BSA exerçables selon la durée d’exercice de fonctions au sein de la société ? En effet, si tel n’était pas le cas en l’espèce et que dès la souscription des BSA, ceux-ci étaient exerçables sans condition de « vesting », il nous semble que le lien avec les fonctions salariés devrait être très discutable.
  • en ce qui concerne l’appréciation des « conditions préférentielles » de la souscription des BSA, deuxième condition cumulative pour la qualification d’un avantage salarial soumis à cotisations sociales, la Cour de cassation juge que « le caractère préférentiel des conditions d’attribution des bons de souscription d’actions résulte tant de la qualité de salariés ou de mandataires sociaux des bénéficiaires et de leur nombre limité que des conditions d’émission et de cessibilité des bons, les conditions financières de la souscription n’en constituant qu’un simple indice ». Ainsi, il semble que le fait que l’option ou le bon ait été souscrit à une juste valeur de marché n’est pas de nature à exclure toute possibilité de requalification en avantage salarial.

Par cette décision, la Cour de cassation aligne selon nous sa jurisprudence sur celle du Conseil d’Etat (cf. notamment CE, 13 juillet 2021, n°428506, n°435452, n°437498)  eu égard aux grands principes applicables en présence d’un gain « requalifié » en avantage salarial :

Conseil d’EtatCour de cassation
critères entrainant la requalificationl’avantage « trouve essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié« 




« la circonstance que M. B ait versé une indemnité d’immobilisation lors de l’acquisition de son option d’achat – représentant une prime d’option sans doute très insuffisante, […] [est] sans incidence sur la caractérisation ultérieure, lors de la levée effective de cette option, d’un gain de levée d’option. La cour aurait dû rechercher si ce gain de levée d’option réalisé par M. B pouvait être regardé, compte tenu notamment des conditions dans lesquelles l’intéressé a acquis cette option et des conditions posées à son maintien et à son exercice, comme trouvant essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de fonctions de dirigeant ou salarié et comme une rétribution de ces fonctions » (conclusions du rapporteur public).
« dès lors qu’ils sont proposés aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, les bons de souscription d’actions [BSA] constituent un avantage qui entre dans l’assiette des cotisations sociales« 

« le caractère préférentiel des conditions d’attribution des bons de souscription d’actions résulte tant de la qualité de salariés ou de mandataires sociaux des bénéficiaires et de leur nombre limité que des conditions d’émission et de cessibilité des bons, les conditions financières de la souscription n’en constituant qu’un simple indice« 
quantun du gain requalifiable« la différence entre la valeur réelle de ces actions à la date de levée de cette option et leur prix d’achat majoré, le cas échéant, du montant acquitté pour acquérir cette option […]« différence entre, d’une part, la valeur de l’action à la date de son acquisition et, d’autre part, le prix d’acquisition du bon et celui de l’action
date du fait générateurcet avantage « constitue un gain, réalisé par lui dès la levée de cette option« « le fait générateur des cotisations sociales afférentes à cet avantage s’entend de la date de cession ou de réalisation des bons de souscription d’actions, de sorte que l’avantage doit être évalué à cette date en fonction du gain obtenu ou de l’économie réalisée par le bénéficiaire« 

Anne-Claire Chambas, avocate associée

Damien Basson, avocat associé

Philippe Balaÿ, avocat associé

Chris Hannetel, avocat associé

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